Le récit qui suit m'a été conté par deux singularités ou bien deux et demie. S'il appara?t ici, c'est que nous avons survécu, mais aussi pour que vous compreniez pourquoi mon journal se trouve ici... Je l'espère seul, peut-être avec les reliquats de ce que nous étions.
Elle avait erré dans les bois, tra?nant derrière elle l'enfant épuisé. Le rapace s'était aventuré dans son nid et c'était elle qui l'avait picoré. Le duvet sale, prise sublime pour la mère désemparée, lui accorda la possibilité de vaincre et le cran d'arrêt, qu'elle gardait constamment sur elle, lui assura la victoire. Le premier coup ripa contre le plastron de la créature étonnée par sa résistance. Le deuxième atteignit les entrailles qui se répandirent en se désintégrant dans sa tente. Le hurlement de la créature, meurtrie et vaporeuse, n'alerta personne. Elle ne pensait pas l'avoir tué, bien qu'elle la laissa pour morte et je lui appris qu'il était peu probable qu'elle l'eut fait. Je me demande s'il n'est pas nécessaire d'arracher le c?ur monstrueux pour que celui daigne arrêter de battre.
Il n'en demeure qu'elle avait vaincu, mais que dans la lutte sa propre poitrine se retrouva déchirée. Le chalet qui les accueillirent, point de rencontre qui lui paraissait alors peu probable, lui donnait des allures de mausolée. Les fenêtres étaient trop étroites, l'acre moisissure trop prenante et l'enfant pleurait trop. Il s'inquiétait pour sa mère dont la blessure br?lante suppurait passant du jaunatre mucus à la noire indécision des dernières nuits. Elle mourait. La possibilité d'en finir en apportant l'enfant l'accapara, incapable de guérir par ses propres moyens. Elle me confia qu'elle s'y serait résolue si le jeune homme ne s'écroula pas dans les fourrés voisins en jubilant, incrédule. Il criait que tout allait, que le dehors valait mieux que le dedans. Elle était sortie, bien que pétrie de fatigue, pour le découvrir nageant au milieu des baies.
- Hector, grogna-t-elle.
L'enfant dans son dos s'était chié dessus. Elle ne l'avait pas changé et maintenant pensait délirer. Ils avaient pourtant convenus qu'ils se retrouveraient ici si les choses tournaient mal. Hector pourtant était réel. Il la soigna, aussi bien qu'il le put et la volonté accomplit le reste de l’?uvre. Nettoyée, pansée, la plaie finit par désenfler et la fièvre par chuter. Le visage inquiet de l'enfant mua vers le plus pur ravissement : maman vivrait encore longtemps. La famille recomposée ne manquait de rien, entre les baies et les lapins, peu inquiétés par ces prédateurs qu'ils pensaient disparus, la fin ne les tiraillait jamais. Maria s'avéra être une excellente chasseuse. Les collets installés dans la forêt trompaient ses proies et le soir ils se réunissaient souvent autour d'un lapin encore étonné de s'être laissé prendre aussi connement.
En quelques mots : le bonheur. Maria, Ugo et Hector qui, je crois, aurait préféré être père de substitution plut?t que grand-frère adoptif... Vint un jour où cette vie idyllique se ternie. Lors d'une de ses sorties, Maria repéra une patrouille du Héron. Rien de plus qu'une milice d'imbéciles guidés par un vampire fatigué qui ne la virent pas en retour. En plusieurs semaines, ils n'en avaient croisé aucune et l'imprudence commen?ait à pointer. Ils avaient alors repris la route, vers le lac de Maria de l'autre c?té de Glückenberg. S'ils survivaient aux cratères laissées par les mines, dangereux pièges invisibles, ils atteindraient un paradis qui, ils en étaient certains, serait immaculé. Dès le lendemain, tout autant poussé par la présence oubliée que par l'amenuisement des ressources locales, ils partirent. Comme moi, ils évoluaient la nuit mais cela s'arrêtait ici. Ils préféraient les chemins forestiers aux routes et leur cheminement fut bien moins rapide, bien plus reposant aussi. Ils atteignirent finalement la ville minière en deux nuits, s'adonnant à bien des pauses et recensement frénétiques des vivres restants. Arrivés en ville, désertée des humains, occupée par des chats qui arpentaient la souricière, ils se dépêchèrent de la dépasser sans trop s'attarder dans les boutiques pillées.
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Je précise bien ? sans trop ? car Hector y dénicha une nouvelle paire de bottes. Je pense néanmoins que nous pourrions suivre leur passage, les détritus plastiques – englués par la matière organique devenue boue locale – doivent encore tracer un singulier chemin entre les maisons ouvrières. En le suivant, nous atteindrions la dernière étape du trio : l'autoroute. Elle partait vers le Nord, traversant la plaine sans s'encombrer des reliefs. Des embouteillages monstrueux, héritages de la Grande Fuite, accueillaient de squelettiques passagers dans leurs cercueils rouillés de t?le et caoutchouc. Bien que dérangés par l'omniprésence de la Mort, ils finirent par en être émerveillés. Le monde d'antan gisait sur l'autoroute et Ugo m'indiqua, dans sa propre description de leur pérégrination, qu'une bo?te de fer accueillait le plus gros des squelettes dont le crane, démesuré, était surmonté par d'immenses cornes. Pour preuve, il me montra le souvenir qu'Hector avait prélevé pour lui et qu'il portait maintenant autour du cou comme porte-bonheur : un sacré porte-bonheur.
Puis, à force d'arpenter l'autoroute entre les épaves et les cratères d'un bombardement, ils finirent par arriver en bout de piste. Un mur avait été dressé, impénétrable. Ils durent s'arrêter, regarder la liberté qui se dessinait derrière et que les automobilistes cadavériques franchissaient en se téléportant une centaine de mètres plus loin. Hector prit Ugo dans ses bras. Maria les encercla. Dans le ciel dénué de ses cotons, un oiseau titanesque atterrit sur l'horizon. D'un blanc immaculé, il allait se confronter aux tours de verre qui renvoyaient l'éclat du Soleil... Ce détail, seul l'enfant l'a noté.
- Puis après ? avais-je demandé.
Après, ils s'étaient résolus à jouer de la pince coupante pour démanteler une portion du mur. Ils prirent la journée, parfois à deux doigts d'abandonner en tombant sur un brin plus solide, mais ils y parvinrent. L'ouverture étroite leur permettait de se glisser de l'autre c?té. Hector était le premier de corvée. Il passa sa tête vers l'avenir, une main tendue ce qui le sauva. Ils ne les avaient pas vu ou alors n'y avaient pas prêtés d'importance, mais dans des guérites désertées – incongrues et inoffensives – les c?urs mécaniques rougirent. Ils crachèrent à l'unisson des gerbes de flammes concentrées qui s'arrêtèrent aux limites de la zone défendue qui, en l’occurrence, se limitaient aux premières phalanges d'Hector. Il se trouva amputé de deux doigts, cautérisé par la même occasion et alors qu'il me racontait l'histoire je ne pouvais manquer ses regards lancés à ses moignons. Il crevait d'envie de gratter la cro?te.
- Puis... ?
Puis ils étaient entrés, découragés. Ils passèrent une nuit à l'entrée d'une mine où ils découvrirent d'anciens plans. Les couloirs souterrains passaient sous la frontière. Ils s'étaient effondrés et c'est peu après que je le rencontrai pour la première fois alors qu'ils partaient à la recherche de pioches et d'explosifs pour la grande fête qui les attendait. Maria avait pointé son fusil dans ma direction comme elle l'avait fait vers le torse de l'inspecteur Brooks.