Les deux semaines d’examens finaux à l’école impériale de Mor en plein mois de juin, étaient un véritable enfer estival, une épreuve con?ue pour tester les limites physiques, mentales et émotionnelles des élèves. Loin d’être une simple formalité, c’était un tourbillon d’épreuves où chaque jour semblait plus étouffant que le précédent, comme si le soleil lui-même conspirait avec les professeurs pour éprouver leur résilience. Du matin au soir, pendant huit heures harassantes, les examens s’encha?naient sans relache sous un ciel d’un bleu implacable, transformant les salles de classe en fournaises et les cours en arènes de combat. Toutes les matières de l’année passaient sous la loupe – histoire impériale, stratégie militaire, sciences – ainsi que les disciplines pratiques comme l’escrime et la danse, où la grace devait coexister avec la précision. Même les cours extra-scolaires, souvent considérés comme des échappatoires légères, se transformaient en défis redoutables, avec des tests sur des sujets aussi divers que la calligraphie, la botanique ou l’éloquence diplomatique, où chaque mot pesait comme une épée.
Les couloirs de l’école, habituellement animés de rires et de conversations légères, étaient plongés dans un silence tendu, brisé seulement par le bourdonnement des abeilles butinant les glycines en fleur ou les murmures fébriles des étudiants révisant à l’ombre des arches de pierre. Les murs épais, con?us pour résister aux hivers rigoureux de Mor, emprisonnaient maintenant la chaleur, créant une étuve où l’air semblait se solidifier. Les salles d’examen, vastes et baignées de lumière crue, vibraient sous la chaleur qui s’infiltrait par les hautes fenêtres ouvertes. Les rideaux de lin, d’un blanc éclatant, ondulaient doucement dans la brise tiède, offrant peu de répit face à la sueur qui perlait sur les fronts. Les encriers, posés sur les pupitres en chêne, dégageaient une odeur acre d’encre mêlée à celle, plus douceatre, de la cire des bougies.
Les nuits, courtes et agitées, voyaient les chandelles vaciller dans les suites des étudiants, leurs flammes dansantes projetant des ombres mouvantes sur les murs. Les fenêtres, grandes ouvertes, laissaient entrer le chant des grillons et l’odeur sucrée des roses en fleur du jardin impérial, un contraste cruel avec l’angoisse qui rongeait les esprits. Mero, assis à son bureau dans sa suite aux accents de Sel – murs tendus de soie bleue ornée de vagues argentées, mosa?que de corail scintillant au sol –, sentait la fatigue alourdir ses paupières. Ses doigts, moites sous la chaleur, serraient une plume d’albatros tandis qu’il rédigeait des réponses sur des parchemins gondolés par l’humidité. Parfois, un gecko traversait le plafond en silence, attiré par les insectes tournoyant autour des bougies. Les professeurs, leurs robes d’été en lin écrue flottant autour d’eux comme des spectres, arpentaient les rangées avec des regards acérés, guettant la moindre faute. Le tic-tac sourd de l’horloge monumentale, sculptée en forme de phénix, semblait amplifier la pression, chaque seconde sonnant comme un coup de marteau sur l’enclume de leur endurance.
Les épreuves physiques, tenues dans la cour centrale pavée de marbre blanc, étaient une torture sous un autre jour. La lumière crue du zénith faisait miroiter la poussière soulevée par les pas des élèves, créant un halo doré dans lequel ils semblaient se mouvoir comme des ombres. L’herbe jaunie, piétinée par des générations d’étudiants, crissait sous les bottes, et l’air vibrait de la chaleur irradiant des pierres. L’escrime, discipline reine de Mor, exigeait une précision que la chaleur rendait presque impossible. Les lames, chauffées par le soleil jusqu’à devenir br?lantes, transmettaient leur ardeur à travers les gants de cuir, for?ant les élèves à alterner les mains pour éviter les cloques. Mero, lors de son duel contre Sven, avait d? user de ruse plut?t que de force, feignant une attaque en diagonale avant de pivoter pour toucher l’épaule de son adversaire. Sven, malgré sa puissance, avait glissé sur une dalle disjointe, manquant de peu une chute humiliante.
La danse, quant à elle, était une épreuve de grace sous pression. Les juges, assis sous un auvent de soie pourpre, observaient chaque pas avec une sévérité de faucon. Les tuniques de lin, normalement aérées, collaient à la peau comme une seconde peau, révélant chaque muscle tendu. Eléonore, lors de la valse impériale, avait trébuché sur le bas de sa robe, un instant de vulnérabilité vite masqué par une pirouette improvisée qui lui avait valu un regard approbateur du ma?tre de danse. Ki, en revanche, avait ébloui l’assistance avec un pas de deux inspirés des danses tribales de son pays natal, ses bracelets de clochettes tintinnabulant en harmonie avec la musique.
Les courses d’endurance, à travers les jardins labyrinthiques de l’école, étaient peut-être l’épreuve la plus redoutée. Les fontaines, jadis rafra?chissantes, semblaient se moquer des coureurs avec leur murmure apaisant. Mero, équilibré dans ses talents, parvenait à suivre le rythme imposé par Sven, mais ses muscles tremblaient après des heures sous cette fournaise. Dorian, plus à l’aise dans les livres que sur les sentiers, avait vomi derrière un buisson de lauriers après avoir forcé l’allure, son visage rougi par l’effort contrastant avec sa paleur habituelle. Hélène, impassible, avait terminé la course en tête, ses cheveux d’or noués en une tresse sévère, sans une goutte de sueur visible.
Les cours extra-scolaires ajoutaient une couche de complexité inattendue. Un après-midi, Mero dut improviser un discours diplomatique devant un jury de trois ambassadeurs retraités, leurs visages creusés par l’age et l’expérience. La sueur coulait dans son dos, tra?ant un chemin glacé malgré la chaleur, alors qu’il cherchait ses mots sous leurs regards scrutateurs. Le sujet – résoudre un conflit frontalier fictif entre Sel et Qit – exigeait une finesse qu’il pensait ma?triser, jusqu’à ce qu’un juré lui lance une question piège sur les droits des pêcheurs c?tiers.
This story is posted elsewhere by the author. Help them out by reading the authentic version.
L’épreuve de musique, tenue dans l’amphithéatre en plein air, avait réservé des surprises. Eléonore, pourtant réputée pour sa rigueur, avait eu un trou de mémoire lors de son solo de harpe, ses doigts immobilisés par le trac. Hélène, en revanche, avait joué un air à la fl?te si pur que les oiseaux s’étaient tus pour l’écouter, un moment de magie éphémère dans l’enfer des examens.
Le jour des résultats arriva comme une délivrance teintée d’appréhension. Dans la grande cour centrale, sous un ciel d’un bleu éclatant strié de nuages effilochés, des feuilles de parchemin furent affichées sur les murs de pierre chaude, les classements inscrits en encre noire bien nette. La foule des étudiants se pressa en une marée nerveuse, leurs tuniques légères flottant dans la brise comme des étendards. Mero avan?a, le c?ur battant à se rompre sous sa chemise de lin trempée. Ses yeux parcoururent les listes avec une avidité mêlée de crainte :
- **Histoire impériale** : 17/20 – *? Bonne analyse de la guerre des Sables, mais manque de détails sur les réformes économiques post-conflit. ?*
- **Stratégie militaire** : 15/20 – *? Plan défensif solide, mais négligence des ressources logistiques. ?*
- **Danse** : 16.5/20 – *? élégance naturelle, mais manque de fluidité dans les transitions. ?*
Son classement général de **17/20** le pla?ait en troisième position, derrière Hélène et un certain Joran, fils de gouverneur dont personne ne se souvenait avoir croisé le regard. Un mélange de fierté et de frustration l’étreignit – il avait visé la deuxième place, mais un point en stratégie lui avait échappé à cause d’une carte mal interprétée.
à ses c?tés, Dorian épluchait ses résultats avec un sto?cisme feint. Ses **18/20 en littérature** et **17.5/20 en philosophie** brillaient comme des trophées, mais ses **8/20 en endurance** parlaient d’heures passées à éviter l’entra?nement physique. ? Je préfère de loin les batailles d’idées à celles des corps ?, murmura-t-il à Mero, un sourire en coin masquant mal sa déception.
Sven, lui, arborait un sourire triomphal. Ses **19/20 en escrime** et **18/20 en danse** étaient soulignés de commentaires élogieux – *? Agilité remarquable ?*, *? Leadership inné ?* –, contrastant avec ses **11/20 en stratégie**, où il avait visiblement confondu les batailles de Keltar et de Vorn. ? Qui a besoin de dates quand on peut vaincre avec une épée ? ? lan?a-t-il en claquant l’épaule de Mero, son rire résonnant contre les murs.
La célébration qui suivit fut une orgie de couleurs, de sons et d’émotions libérées. La salle à manger, transformée en palais éphémère, étincelait sous les lustres de cristal. Des guirlandes de jasmin et de gardénias pendaient des poutres, leurs pétales tombant en pluie parfumée sur les tables chargées de mets exquis : brochettes de poisson mariné aux herbes de Sel, patisseries feuilletées fourrées à la crème de mangue, et fontaines de vin pétillant où nageaient des fruits glacés.
Hélène, resplendissante dans une robe aux tons d’aurore boréale, circulait parmi les invités avec la grace d’une souveraine, échangeant des mots aimables avec chacun. Sa perfection, loin d’être distante, rayonnait d’une chaleur presque humaine ce soir-là. ? Tu as failli me battre en stratégie ?, glissa-t-elle à Mero en passant, un éclair de défi dans ses yeux saphir.
Dans un coin, Ki et Dorian partageaient une conversation animée près d’un buffet, leurs rires fusant à chaque anecdote. ? Tu te souviens de la fois où le professeur Garin a éternué sur les parchemins ? ? s’esclaffa Ki, mimant la scène avec une théatralité qui fit renverser le verre de Dorian.
Sven, débordant d’énergie même après minuit, entra?na Eléonore dans une danse endiablée au rythme des tambours. Leurs pas, d’abord hésitants, se synchronisèrent peu à peu, jusqu’à ce qu’ils tournoient comme des feuilles emportées par le vent, attirant les applaudissements de la foule.
La nuit atteignit son paroxysme lorsqu’un groupe, mené par Sven, se dirigea vers la piscine intérieure, un bassin de marbre aux eaux turquoise éclairées par des lanternes flottantes. Mero, un verre de jus de grenade à la main, s’approcha du bord, hypnotisé par les reflets dansants. ? Regarde, on dirait des étoiles tombées dans l’eau ?, murmura-t-il à Dorian.
Soudain, une main – sans doute celle de Sven – le poussa dans le dos. Il plongea dans une gerbe d’éclaboussures, son cri étouffé par l’eau fra?che. En ressortant, trempé mais riant, il entra?na Sven à sa suite, déclenchant une bataille aquatique généralisée. Hélène, cible de choix, esquiva trois assauts avant de plonger avec la précision d’une sirène, son rire cristallin résonnant sous les vo?tes. Eléonore, après avoir tenté de rester en retrait, fut entra?née par Ki dans une course-poursuite qui se termina en embrassade involontaire avec un pilier.
à l’aube, alors que les premiers rayons du soleil caressaient les jardins, Mero se retrouva seul à la fenêtre de sa suite. Les échos de la fête – mélodie tronquée d’un violon, rires étouffés – se mêlaient au chant des oiseaux. Dans un coin de la cour, un chaton abandonné léchait les restes d’un gateau, indifférent aux drames humains. Il pensa à Mandarine, quelque part sur l’océan, et se demanda si elle aussi regardait le même soleil se lever. Un sourire flotta sur ses lèvres : ces deux semaines d’enfer avaient forgé des souvenirs aussi durables que les murs de Mor, et des amitiés aussi solides que ses fondations.
La cloche du matin sonna, douce et grave, annon?ant le début des vacances. Quelque part, un étudiant renversa une pile de livres en dormant, déclenchant un rire étouffé. Mor, pour un temps, retrouvait sa quiétude – jusqu’à la prochaine tempête.