La sépulture du Héron adoptait sa dépouille. Un no man's land de roches et de cendres l'entourait et nous n'osions l'approcher de crainte de troubler son repos. Réunis à une distance respectueuse, nous paraissions le pleurer et ne parvenions à le quitter des yeux. Les jointures de ses membres se calcifiaient, disparaissant sous l'amalgame, et ses yeux, autrefois brillants comme des perles, se résumaient désormais à deux billes charbonneuses. L'encadrant avec grace, ses plumes ternes s'engravaient dans la terre plus meuble et laissaient des traces semblables à celles des ammonites fossilisées.
Ougha-ougha, le roi est mort. Peut-être depuis des éons. Il avait traversé le temps pour que je le tue dans cette grotte et nous refusions de croire de sa fin était finalement arrivée.
Hector, d'une paleur effrayante, restait hypnotisé par les griffes qui manquèrent de l'étêter, lui le jeune arbre trop vigoureux.
- Il est mort ? s'enquit-il pour la troisième fois.
La pitié. Mort ? Pour moi, cela sonnait davantage comme une prière qu'une question : ? Pourvu que ce monstre soit mort, ramassé à tout jamais dans les méandres d'une mémoire que j'espère devenir un jour défaillante ?. Maria, qui pour en avoir affronté un autre et être moins effrayée que nous l'étions, se décida à le vérifier. Elle posa sa main sur une barre à mine, l'autre sur un baton et souleva les deux au-dessus de sa tête à la manière d'un de ces r?nins dont j'avais lu les aventures plus jeunes. Elle s'approcha à distance de frappe et je voulus lui crier d'arrêter, de fuir, soudainement mugi par cette terrible certitude que Brooks se relèverait et que tous ses membres craqueraient. Mais elle fut plus rapide et attaqua une jambe qui se transforma en poussières. Elles voletèrent, tentèrent de s'unir dans une danse aérienne, et retombèrent au sol désunis à tout jamais. Maria attendit, elle surveillait l'amas de poussières, puis heureuse d'avoir vérifier sa théorie déclara :
- Le Héron n'est pas un Phénix ! s'écria-t-elle.
Pour encore donner de l'ame à sa démonstration, elle assaillit la dépouille. Bient?t, elle fut noyée dans le voile blanchatre de ce qui avait toujours été, si dense qu'il en cachait ses derniers ossements.
L'enfant pleura, terrorisé par la violence soudaine de son mère dont on ne discernait plus que la silhouette qui frappait inexorablement. Hector l'atteignit, lui bloqua le bras et lui dit que la créature ne pouvait plus rien contre eux, qu'elle s'était finalement vengée. La barre à mine tomba en résonnant, le baton s'accorda une dernière arabesque et Maria glapit, retenant des pleurs qui ne sauraient alimenter le flot de ceux de l'enfant.
Brooks était mort. L'enfant les rejoignit et les enla?a tous deux. J'aurais aimé faire partie de cette scène familiale.
Lorsqu'ils eurent rappelés de ma présence, ils se désunirent et nous nous retrouvames autour du feu ravivé. Le cuissot, très ougha-ougha tant par la forme que l'odeur, nous débecquetait autant qu'il nous alléchait. Nous l'échangions, partageant les crocs et tachant d'oublier qu'il appartenait plus t?t à un animal trouvé mort, les tripes en l'air et le foie dévoré par un loup. Ce connard d'Hector n'attendit même pas que nous l'ayons finis pour l'apprendre : c'est ainsi qu'il lan?a nos retrouvailles et que j'appris de leurs récentes péripéties que je vous ai déjà raconté : l'assaut contre la tente de Maria, la blessure infligée au Héron que je leur dit avoir croisé dans la clinique – à leur grande stupéfaction -, puis leur rencontre dans une cabane où la mère et l'enfant se mouraient, le renouveau avec la vie et leur vagabondage jusqu'à la frontière.
La frontière me coupa le peu d'appétit qui me restait. Hector me montra la seule phalange qu'il lui restait sur ses doigts sectionnés et l'espoir qui m'animait s'estompa :
- J'en déduis que nous sommes bloqués ici jusqu'à qu'ils daignent nous capturer, murmurais-je. Nous finirons sur l'échafaud.
J'avais inconsciemment choisi un mot que Ugo ne comprendrait pas.
- C'est une possibilité, admit Hector. Non, une certitude. Brooks était lancé à notre poursuite, nous l'avons tué et son absence sera vite remarquée. Il était seul, pas comme le reste de la cavalerie qui ne manquera pas de détaler sur nous.
- Nous sommes en Enfer, conclus-je. Les tours de verres et les oiseaux de fer ne sont que des rêves inaccessibles... Ou alors nous pouvons bien nous jeter dans les flammes de la frontière, cela accélérera les choses.
Mon regard signifiait explicitement : ? au moins n'auront-ils pas Ugo ?. Maria le capta, me le rendit :
- Tu es ridicule Peter. Es-tu seulement certain que nous sommes finis ?
- Tu as un plan pour résister au feu de la frontière ?
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- Nous en avons ! Lorsque nous t'avons repéré, inconscient dans ton fossé, frigorifié, nous revenions de la ZAC figure-toi.
La ? ZAC ?. L'information moulina longtemps entre les rouages rouillés de mon cerveau. Je me souvins finalement de l'endroit : des dizaines de commerce d'avant l'apocalypse qui regorgeaient encore de marchandises. Hector prit le relais, en souriant et je découvris qu'il avait perdu une temps lors de l'affrontement contre Brooks ce qui lui donnait un air un peu con... Ou plut?t enfantin. Certainement à cause de l'espoir ardent qui br?lait en lui :
- Nous nous équipions, me dit-il. Si la frontière est à la surface, il est peu probable que les souterrains aient également été protégés. Elle est récente, c'est incontestable. J'imagine que la peur des créatures forestières suffisaient à nous éloigner de notre salut, mais certains ont d? tenter l'expérience avant nous et ils ont pris des mesures plus radicales en étendant les barbelés du camp à un univers clos.
- C'est une possibilité... Si tout a été réalisé dans la précipitation, mais vous comptez creuser à l'aveugle et espérer arriver du bon c?té ? Quelle est la portée de ce mur de feu de toute fa?on ?
Hector ne répondit pas et se contenta de fouiller dans ses poches. Il en sortit une carte froissée des galeries minières qu'il déplia pour pointer une des issues de secours :
- Nous sommes là, expliqua-t-il.
Il en montra une autre :
- Nous irons jusqu'ici. La frontière passe ici, la sortie en est distante de deux kilomètres au bas mot.
Mes yeux suivirent le mouvement de ses doigts et remontèrent par des galeries qui rejoignaient nos entrées et sorties. Progresser dans ces boyaux me ramenait à ce lit d'h?pital où, redevenu chrysalide de la longue-nuit, je renaissais dans le court-jour. Le plan... Il m’apparaissait, et me para?t encore, comme trop beau. Peut-être étais-je déjà mort depuis longtemps, hallucinant dans une temporalité dilatée à l'extrême par un cerveau qui se refusait de crever.
Hector tapa dans ses mains pour m'extirper de ma phase :
- Alors, nous passerons sous la frontière, dit-il. Le problème, c'est que cette galerie est obstruée par un éboulis et que nous avions besoin d'outils pour le dégager.
- Vous les avez alors ?
Un rictus gêna imprégna le visage de Maria et je compris avant qu'elle ne dévide son sac. Ils n'avaient trouvé que des piolets et une pelle de survie, tout inadaptés qu'ils étaient aux travaux miniers. Je pris le piolet et planta le fer dans la terre. Au moins était-il de bonne qualité.
- Pas mal pour faire de la sculpture, moins pour des travaux forcés, me plaignis-je.
- C'est tout ce que nous avons découvert, se défendit Maria. Avec le temps, nous viendrons à bout de l'éboulis.
- Avons-nous le temps avant que le Héron ne rapplique ?
Nous nous t?mes. Brooks n'avait eu aucune difficulté à nous retrouver.
- Non, concéda Hector. S'ils veulent nous retrouver, nous sommes parqués.
- Ce n'est pas grave. Je peux faire de ce truc une vraie pioche. Vous avez de la corde ?
- Toujours, me répondit-il.
Il me lan?a plusieurs longueurs de paracordes, une bonne centaine de mètres d'après mes estimations, et je réclama la barre à mine ainsi que le baton utilisé par Maria pour harceler notre créature. Je coin?a le piolet entre mes cuisses et entrepris d'en utiliser le fer comme point d'ancrage pour la barre à mine. Dessus, dessous, ma paracorde se dévidait mais je manquais de coordination.
- Tu veux bien le faire pour moi mon trésor ?
Hector, mon trésor, prit le relais. Je ne l'arrêta que quand je considéra que le fer de substitution était assez ancré pour ne pas se détacher au premier coup. Nous f?mes de même avec le baton qui prolongea le court manche de la pioche de fortune. En une bonne demie-heure, notre monstruosité était prête et nous avec.
Armés de ce matériel, nous nous dirigèrent vers la galerie écroulée. La seconde naissance retardée n'aurait alors su tarder.
à propos de l'éboulis
Moins important que je ne le pensais et moins résistant aussi. L'excitation s'empara de nous dès la première pierre délogée. Elle manqua d'écraser le bras qui me restait malgré mon expérience dans les travaux minier, roula et finit par se fracasser contre la paroi dans un vacarme assourdissant. J'arrêtai le chantier, attendis que le silence revienne dans l'expectation d'un nouvel éboulis. Quand nous f?mes assurés qu'il n'en aurait pas d'autre, nous nous rem?mes au travail avec cette promesse muette de faire plus attention.
Nous étions quatre, nous sommes vous. Nous parvenions à extraire les déblais avec aisance, engourdis par la fatigue naissante et l'ivresse qui nous envahissait, puis vint celle de trop, celle qui chuta du mauvais c?té et disparut dans les insondables ténèbres de l'après.
Oui, celle que vous apercevez si vous avez trouvé ce journal. Après l'éboulis ne s'ouvre que le néant et si je laisse mon journal ici, sur cette pierre, celle qui fut la première de notre futur royaume. Nous ignorons en quoi il consiste ni même si, en nous jetant dans son obscurité dévorante, nous en sortirons indemnes. La tête d'une pioche est bien passée et revenue entière, mais pourtant... Pourtant elle ne signifie rien. Même si je ne le dis pas à mes compagnons, cette histoire ressemble à un suicide collectif. Qui sait ce qui nous attend de l'autre c?té ? Nous nous sommes décidés à y aller ensemble, mains dans les mains et les yeux clos, une envie presque morbide de découvrir. Avons-nous seulement un autre choix ? Non. La cabane de Maria est un souvenir tenace, mais son retour à nos réalités est impossible. Nous pourrions chercher une brèche dans la frontière, mais... Mais voilà. Ce n'est pas notre choix, pas le mien en tout cas et j'espère que ce n'est pas celui de Ugo... Je l'espère, mais depuis quand demandons-nous leur avis aux enfants ? Je ne m'en rends compte que maintenant, en couchant ces lignes, leur avenir ne leur appartient pas et si nous les glorifions, nous les casons dans les futurs auxquels nous aspirions et sur lesquels nous n'avions alors aucune ma?trise.
Voilà que je philosophie alors que je m'apprête à dispara?tre de votre réalité. Je ne regrette pas d'aller de l'autre-c?té, même si je meurs je ne perdrais rien. Il ne me reste du camp que l'amitié qui m'unit à Hector et qui s'effrite, rongée par les assauts de l'océan de rancune depuis la mort de SIG. Je ne veux pas la voir dispara?tre.
à vous qui découvrez ce journal, ne perdez pas espoir. S'il existe un moyen de vous libérez, nous convaincrons l'autre-c?té d'intervenir : des nantis des tours de cristal aux oiseaux du ciel, tous déferleront sur la réserve humaine.
Libre à vous d'attendre. Libre à vous de nous suivre.